Le prix « Liban du pacte » attribué annuellement par la Fondation Elias Hraoui, a été remis hier à Michel Eddé, au cours d’une cérémonie organisée au domicile du chef de l’Etat disparu, à Yarzé, en présence de Mme Wafa Sleiman, représentant le chef de l’Etat, de Abdel Latif Zein et de Nicolas Nahas, représentants le président de la Chambre et le président du Conseil des ministres, du Premier ministre désigné, Tammam Salam, des patriarches Béchara Raï et Nasrallah Sfeir et d’une aréopage politique, diplomatique, bancaire et social de haut vol.
Le lauréat s’inscrit dans une lignée qui comprend déjà Antoine Messarra, Hassan Rifaï, Ghassan Tuéni, le patriarche Sfeir, Fouad Boutros et Nabih Berry.
En parlant d’un autre et de ce qui nous touche en eux, on laisse transparaître souvent ses propres choix. Et c’est en parlant d’Elias Hraoui, après avoir écouté Camille Menassa, Abbas Halabi et Mona Hraoui, que Michel Eddé a un peu dressé son autoportrait.
Ministre de la Culture en 1992, sous le mandat du président Hraoui, son voisin à Yarzé, Michel Eddé l’a décrit comme étant « le président du passage des mini-Etats à l’Etat », d’un homme qui a su « prendre des choix stratégique courageux » et persévérer dans leur accomplissement.
Au sortir de la guerre de 1975-1990, le président Hraoui a reçu un Liban « démembré », il l’a transmis à son successeur, le président Emile Lahoud comme « un corps bien en vie », a-t-il rappelé.
Mais le grand mérite de l’ancien chef de l’Etat, c’est d’avoir refusé de restituer aux Libanais « l’Etat du n’importe quoi », a dit Michel Eddé, mais de s’être efforcé de leur restituer un Etat démocratique.
« C’était le choix difficile, la voie étroite, mais il l’a prise (…) Il a compris que, sans la démocratie, le Liban aurait été perdu et se serait transformé en un corps dans vie», a-t-il insisté.
Elias Hraoui, a repris Michel Eddé, en substance, aurait pu céder à la tentation d’instaurer un Etat autocratique, dictatorial ou à un régime de type « franchement militaire », une voie qui a tenté de nombreux pays qui avaient vécu de moins grandes épreuves que celles du Liban, et qui ont pris prétexte des circonstances exceptionnelles dans lesquelles se faisait la reconstruction, « pour suspendre la Constitution et user de coercition et de répression, proclamer un état d’urgence ou imposer certaines formes d’autocratie franche ou masquée ».
Mais aux yeux du président Hraoui, ces méthodes étaient étrangères à ce qui faisait l’essence du Liban, savoir « les libertés et la modération, le dialogue et l’échange ».
« Les Libanais j’en suis convaincu, saurons gré a u président Hraoui d’avoir préservé la démocratie parlementaire, quelques soient les brèches et les erreurs qui ont pu être commises, et même les abus qui ont marqué ce processus, en particulier la déformation de la loi électorale et le décret de naturalisations de triste mémoire ».
« Le président Hraoui était conscient de ces brèches, a précisé M. Eddé, et il n’a pas cherché à nier certaines erreurs. Mais il ne les a pas laissées occulter la catastrophe qui se serait produite, en cas d’abandon de la démocratie ».
« Mais le rêve est la mémoire de ce qui vient, a conclu Michel Eddé. Abou Georges à quitté le pouvoir le cœur serré de n’avoir pas pu offrir aux jeunes de son pays l’option de se marier civilement, un rêve que le président Sleiman pourrait réaliser ».
IT/ La passion de l’histoire
C’est ce démocrate dans l’âme, cet homme de dialogue et de modération, analyste à la mémoire infaillible et passionné du Liban et de l’histoire que les trois autres orateurs de la soirée ont tenté de décrire. Tour à tour Camille Menassa, Abbas Halabi et Mona Hraoui se sont efforcés de rendre hommage à un homme et à une carrière publique difficilement cernables en quelques lignes.
Camille Menassa, qui a accompagné Michel Eddé au ministère de l’Information et à L’Orient-Le Jour, a évoqué en particulier son scrupuleux respect « des principes sur lesquels repose le Liban contemporain : justice, égalité, égalité de chances à l’ombre d’une démocratie parlementaire ».
M. Menassa a également mis en évidence le Michel Eddé chrétien dont les aïeux ont construit, en 1888, la cathédrale Saint-Georges, ce qui ne l’a pas empêché d’approfondir, dans sa jeunesse, la pensée marxiste, au point d’être affublé du sobriquet de « maronite rouge ».
L’intervenant signale aussi le farouche antisionisme de ce « philosémite ».
IT/ Le modèle libanais
Abbas Halabi, pour sa part, met en évidence l’attachement de Michel Eddé « au modèle libanais » comme « solution » à toute « assabiya » communautaire, pour peu que ce modèle soit bien géré.
Il fait également référence à son attachement aux leçons de l’histoire, en particulier au souvenir douloureux de la chute de Constantinople.
« Ce n’est pas par e
xclusivisme communautaire que Michel Eddé s’attache aujourd’hui à rassembler les maronites du monde de l’émigration, mais par souci de préserver la particularité du Liban et son tissu social multiconfessionnel, menacé, et son cachet de patrie », explique-t-il.
« Pour Michel Eddé, le Liban n’est pas un hôtel où on loge en touriste . Bien plus, les chrétiens sont une composante authentique et essentielle de la nation libanaise, et c’est le point de départ qui pousse Michel Eddé à agir, le fondement de sa pensée et de son action, ce qui justifie beaucoup de ses choix. »
IT/ Un maronite pour le Liban
« Maronite attaché à son identité et à l’entité libanaise, ouvert à l’arabisme et à la cause palestinienne, voilà Michel Eddé, conclut Mme Hraoui. Que ce soit comme ministre, comme président de la Ligue maronite ou aujourd’hui comme président de la Fondation maronite dans le monde, il œuvre toujours à resserrer les liens entre les maronites et le Liban , ainsi que leur engagement à la vie commune ; il a également œuvré, au cours de sa longue carrière, politique, à raviver le dialogue islamo-chrétien et à enraciner une unité nationale éclairée, ainsi qu’une paix civile basée sur l’acceptation de l’autre , le refus de la violence, en parole et en actes, et le respect absolu des libertés ».