Il y avait foule, lundi soir à la Résidence des Pins de Beyrouth, à l'occasion de la remise par l'ambassadeur de France, Emmanuel Bonne, des insignes de chevalier de l'ordre national de la Légion d'honneur à l'éditorialiste et longtemps rédacteur en chef de L'Orient-Le Jour, Issa Goraieb. La famille Goraieb au grand complet était aux premières loges, à savoir Youmna, son épouse, Fouad (et son épouse Margaret) et Amine, ses deux fils, ses petits-enfants, même les tout-petits. La grande famille de L'Orient-Le Jour aussi, avec à sa tête le PDG du quotidien, Michel Eddé (President d’honneur de la Société de la Legion d’honneur- Liban). Également parmi les convives, de nombreux proches et amis, ainsi qu'un parterre de personnalités politiques, diplomatiques et de la presse, parmi lesquelles l'ancien président Amine Gemayel, les ministres de la Culture et de l'Information, Rony Arayji et Ramzi Jreige, le chef du PNL, Dory Chamoun, les députés Marwan Hamadé et Henri Hélou, les anciens députés Solange Gemayel, Nayla Moawad, Samir Frangié, Salah Honein et Camille Ziadé, les ambassadeurs d'Espagne, Milagros Hernando Echevarria, et du Mexique, Jaime Garcia Amaral, de même que le président de l'ordre de la presse, Aouni el-Kaaki, le secretaire general de la SMLH Rafic Chlala, pour ne citer que ces quelques noms.
BONNE
C'est sous le signe de l'intense émotion que s'est déroulée la cérémonie, clôturée par un vin d'honneur. L'ambassadeur de France Emmanuel Bonne a pris la parole : « Je suis heureux de vous accueillir nombreux ce soir à la Résidence des Pins. Je suis heureux aussi que tant d'entre vous (...) soient venus pour honorer un grand journaliste (...). En un mot, un grand homme de la vie des idées, de la culture, de l'actualité et du débat (...)
« Cher Issa,
« Je connais votre modestie et dois vous prévenir qu'elle peut souffrir ce soir parce que nous allons parler de vous (...) et saluer ce beau parcours qui est le vôtre. Un parcours d'exigence, de rigueur, de conviction et d'élégance (...). Un parcours d'un demi-siècle au cours duquel le journaliste que vous êtes (...) s'est concentré sur une mission, (...) décrire, éclairer, expliquer (...).
«Une mission essentielle (...) dans ce Liban où, pour reprendre les mots de Michel Chiha, « tout est équilibre et mesure » (...). C'est la ligne des grands journalistes. Celle aussi sans doute des grands musiciens (j'en vois plusieurs), les saxophonistes, les guitaristes, ceux dont vous êtes et avec lesquels vous jouez dans vos meilleurs moments ce rock, ce blues, qui vous va si bien et qui a souvent fait vibrer les murs de cette belle maison.
« Il y a en fait dans votre histoire quelque chose de très libanais : la liberté de penser, l'ouverture aux autres, l'alacrité du verbe, l'éclectisme et l'expérience du grand large. Le grand large parce que vous êtes né dans l'Autre Amérique, comme disait Selim Abou, au Mexique où votre famille est établie. Vous y passez vos premières années et en gardez un goût, des affinités et une sensibilité latine à laquelle vous tenez. Vous revenez ensuite au Liban pour y grandir et y étudier, dans les écoles catholiques puis à l'Université Saint-Joseph dont vous sortez diplômé de droit et d'économie en 1965.
« C'est là, tout de suite, que le journalisme vous happe. La liberté de la presse (...) existe au Liban où la presse est florissante (...). Certains tombent d'être libres (...). C'est alors que vous rejoignez la rédaction du journal Le Jour. Celui de Michel Chiha justement, où vous faites vos débuts (...). Dans le Liban d'avant la guerre (...) on lit encore soit Le Jour, soit L'Orient (...). Mais les temps changent et les deux titres les plus prestigieux de la presse francophone dans le monde arabe fusionnent en 1971 pour devenir L'Orient-Le Jour (...).
« Pour vous, c'est un nouveau départ puisqu'à 29 ans, vous devenez le chef du service étranger de L'Orient-Le Jour (...). Le Liban sombre dans la guerre (...) : on espère une accalmie, un plan, une négociation qui ramènera chacun à la raison. Personne n'imagine qu'il faudra 15 ans et tant de drames pour en sortir.
« Votre mission de journaliste, vous l'accomplissez en tout cas sans jamais faillir dans ces années difficiles. Et vous faites même bien davantage que votre devoir. En 1976, le rédacteur en chef de L'Orient-Le Jour, Édouard Saab, est tué au passage du Musée, tout près d'ici, et c'est vous qui prenez sa relève. Vous le faites avec courage et détermination. Beaucoup de collègues mais aussi de lecteurs ont fui le Liban. Il est difficile d'assurer la parution du journal un jour après l'autre. Mais vous le faites. Entouré d'une petite équipe, dans vos locaux de Hamra, tous unis dans la même foi que le journal doit paraître. C'est important pour la vérité. C'est important pour le Liban. Cela ne se discute pas. Vous campez donc dans vos bureaux. Vous ne rentrez pas chez vous. Vous prenez beaucoup de risques à une époque où Beyrouth est tristement divisé en deux. Mais le journal paraît. Toujours. Obstinément. Même dans les pires moments du siège de Beyrouth en 1982. Quatre pages seulement. Oui mais quatre pages qui sont le témoignage de votre liberté et de votre insoumission. »
La France a des amis partout dans le monde
« Dans ces années terribles, L'Orient-Le Jour est un repère précieux qui donne (...) les grandes et les petites nouvelles, celles de la grande histoire et celles des gens dans leur quotidien. (...) La paix revenue, c'est d'ailleurs cette volonté qui vous amène encore à prendre position, à réclamer autant qu'il est alors possible que le Liban retrouve sa souveraineté, que cessent la mise sous tutelle, le pillage des ressources (...)
« En 2003, vous quittez la rédaction en chef et vous vous concentrez sur votre responsabilité d'éditorialiste. Vous le faites avec talent, un sens aigu des réalités (...). C'est cela qui vous vaut d'avoir la confiance de tous et notamment du PDG, le ministre Michel Eddé, et je veux rendre une nouvelle fois hommage ce soir à M. le Ministre, pour votre travail au service de la culture, pour votre engagement francophone et pour toute la passion que vous mettez à faire vivre ce beau journal.
« Cette confiance, c'est aussi celle des actionnaires et je salue notamment le ministre Michel Pharaon et je pense à ce qu'il a pu faire pour rapprocher le Commerce du Levant maintenant lié à L'Orient-Le Jour. Cette confiance, c'est aussi celle de vos collègues, celle des jeunes générations qui ont intégré la rédaction et appris le métier à vos côtés. C'est enfin, et surtout, celle des lecteurs qui débattent de vos idées, de votre style et de vos choix éditoriaux à chaque fois que vous publiez. J'en suis témoin, on en parle. Et je suis aussi témoin que vous avez même la confiance des diplomates. Ce qui n'est pas rien car ils se méfient généralement de la presse mais comme tout le monde, ils en ont besoin. Ce qui fait que pour paraphraser François Mitterrand, je peux dire, ironiquement bien sûr, que les politiques, comme les diplomates d'ailleurs, « considèrent généralement que la liberté de la presse présente des inconvénients mais beaucoup moins que l'absence de libertés ». « Cette liberté, c'est celle que vous continuez d'exercer avec le plus grand talent (...). Bien loin des tentations communautaires, des haines identitaires, vous n'avez jamais cessé d'être un patriote (...).
C'est donc une belle œuvre que vous avez construite. Nous vous en sommes très reconnaissants et vous pouvez en être fier. Vous avez réfléchi, écrit, produit pour des générations de lecteurs, et je dois confesser ce soir (...) que je me trouve parmi ces lecteurs depuis longtemps. Dans mon expérience personnelle du Liban (...), il y a ces jours des années 80 où je guettais l'arrivée du journal dans les kiosques à Paris. À l'époque il coûtait cher pour un lycéen : 10 francs. Mais je vous y lisais et je prenais des nouvelles de Beyrouth (...).
« Je vous raconte tout ça (...) pour vous dire que L'Orient-Le Jour, vous-même, toute l'équipe de la rédaction (...) avez joué un rôle et continuez de jouer un rôle important de passeurs pour des générations de Français en route pour le Liban, curieux d'en savoir plus (...). C'est un privilège de pouvoir lire un journal en français au Liban, au Moyen-Orient, dans le monde arabe. (...) Un journal de qualité qui pratique le français avec la conviction qu'on écrit mieux dans cette langue que dans d'autres (...). C'est le produit de l'histoire mais pas seulement. C'est aussi un pari sur l'avenir. Celui d'une francophonie jeune, porteuse d'idées, de valeurs et de débats, en prise avec son temps (...).
« Au cours des cinquante années de journalisme que vous avez derrière vous (...), vous avez notamment été l'un de ceux grâce auxquels la France peut dire qu'elle a des amis partout dans le monde, qui pratiquent sa langue, qui l'aiment telle qu'elle est cette France, et contribuent au rayonnement de ses valeurs et de ses idéaux républicains. C'est pour toutes ces raisons, qui sont celles de la qualité, des valeurs, de l'engagement, que je suis heureux de vous apporter ce soir le témoignage de l'estime et de la reconnaissance de la République française. Issa Goraieb, au nom du président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons chevalier de la Légion d'honneur. »
Goraieb
De sa part, Goraieb a remercié la France et insisté sur les profondes relations qui lient les deux pays :
« Libanais d'origine, d'appartenance, d'enracinement, Mexicain de naissance, de filiation maternelle, de citoyenneté, c'est par inclination amoureuse que je suis tout aussi bien imprégné de France », a dit lundi, sur le ton de la confidence, Issa Goraieb, qui a assumé et exalté ce métissage tout au long de ses cinquante ans de vie professionnelle, dans la fidélité au devoir de gratitude envers la France, comme au service passionné de la francophonie. Voici le texte qu'il a prononcé lundi à la Résidence des Pins :
« Monsieur l'Ambassadeur, « C'est avec une sincère, une profonde émotion que je vous remercie pour l'accueil que vous nous réservez à l'occasion de ma réception, de vos mains, des insignes de la plus haute distinction de France.
« Je voudrais, en premier lieu, vous prier de transmettre ma profonde gratitude à Monsieur François Hollande, président de la République française, qui a bien voulu m'honorer en me nommant chevalier dans l'ordre national de la Légion d'honneur. Je tiens à vous exprimer mes remerciements les plus chaleureux pour les démarches que vous avez personnellement déployées en vue de cette nomination qui m'emplit de fierté, ainsi que pour les termes extrêmement élogieux dont vous m'avez gratifié en évoquant mon parcours.
« Libanais d'origine, d'appartenance, d'enracinement, Mexicain de naissance, de filiation maternelle, de citoyenneté, c'est par inclination amoureuse que je suis tout aussi bien imprégné de France.
« Un père essentiellement arabophone, car, à peine sorti de l'adolescence, il avait dû quitter le collège et gagner les lointaines Amériques pour contribuer à la subsistance d'une famille nombreuse ; et une mère hispanophone, soudain transplantée aux antipodes de son Oaxaca natal, et qui m'a inculqué cette langue en tout point maternelle qu'est, pour moi, l'espagnol.
« C'est pourtant le français qui, dès ma petite enfance, s'est imposé tout naturellement à moi, comme à mes frère et sœurs (et ça continue de plus belle avec mes petits-enfants) comme langue d'expression, d'émotion, d'enrichissement culturel, de passion.
« De Tintin et Spirou à Jules Verne, et puis à des lectures dites plus sérieuses, c'est ma boulimie de papier qui m'a conduit aux premiers tourments de la réflexion et aux délices de l'écriture : pour tout dire au journalisme, profession que j'embrassais il y a exactement 51 ans, jour pour jour. Mon très talentueux chef de service de l'époque était l'homme d'exception, l'ami, Marwan Hamadé.
Le français, langue de résistance
« Dans le cadre de ma collaboration aux quotidiens Le Jour, puis L'Orient-Le Jour, le français devint alors langue d'opinion, de croyance, de résistance, de combat. Combat politique et social bien évidemment, au service de ces idéaux – qui nous sont communs – de liberté, de souveraineté, d'indépendance, d'unité, de fraternité, d'adhésion nationale, idéaux hérités des pères fondateurs, nos maîtres à penser, les géants Michel Chiha, Georges Naccache, Ghassan Tuéni.
« Combat pour la survie physique, pour la pérennité du journal, durant les quinze années de guerre qui ont ensanglanté le Liban. S'il me faut remuer ces pénibles souvenirs, c'est d'abord pour saluer la mémoire de ces martyrs du devoir que furent mon prédécesseur à la rédaction en chef, le grand Édouard Saab, et l'inoubliable collègue, amie, sœur, Fabienne Thomas, tous deux frappés par une disparition aussi prématurée que violente.
« C'est aussi pour adresser un confraternel salut à mes vieux compagnons de route, dont je m'honore d'avoir partagé la tenace résilience : Amine Aboukhaled, le cher Amine avec qui j'ai longtemps eu le privilège d'une symbiose, d'une complicité parfaites dans l'exercice de nos attributions, mes amis, les vétérans Camille Menassa, Nagib Aoun, Michel Touma, Roger Geahchan, Christian Merville, Élie Masboungi, Abdo et Maria Chakhtoura, Gaby Nasr, les regrettés Marie-Thérèse Arbid et Jean Issa, Josette Nahas, Thérèse Saber, l'irremplaçable petite maman de la bande, et bien d'autres.
« Combat intellectuel aussi, que le nôtre. Plus que jamais, L'Orient-Le Jour se voue à sa vocation naturelle qui est la défense et la promotion, au Liban et dans cette région, d'une langue porteuse, comme nulle autre au monde, d'une aussi formidable charge culturelle : précieux bagage face aux dérives et aux délires ultrareligieux qui cherchent à incendier la planète, s'acharnant tout particulièrement sur ce pays cher à nos cœurs, qu'est le vôtre, Monsieur l'Ambassadeur.
Gratitude et fidélité
« Oui, bien cher à nos cœurs. Si nombre de Libanais aiment tant la France, c'est surtout parce que la France aime, n'a jamais cessé d'aimer ce Liban dont elle proclamait l'émergence, dans ses frontières actuelles, en ces lieux mêmes pétris d'histoire. Un peu moins d'un siècle plus tard, bien des paramètres géopolitiques ont changé.
Mais, malgré les moyens actuels des uns, et les attentes parfois démesurées des autres, ce qui n'a pas changé, ce qui jamais ne doit changer, c'est, pour les Libanais, le devoir de gratitude nationale ; c'est, pour la France, celui de fidélité à ces responsabilités qui sont le propre de toute mère.
« Et puisqu'il est question de mère, c'est en m'en tenant au cadre de la famille que je souhaiterais conclure. Jamais ma vie professionnelle, une vie de longues journées et de soirées de travail, d'absences forcées, n'aurait été possible sans l'amour, la compréhension, l'indéfectible soutien des miens. Merci, ma chère Youmna, d'avoir acrobatiquement, et si gaillardement, porté, tout à la fois, les casquettes de mère, de père, d'éducateur, d'intendant, et j'en oublie, durant les longues périodes où il ne m'était pas toujours donné de voir grandir nos deux fils Fouad et Amine : sans doute la plus belle réalisation de nos existences.
« Tant il est vrai que l'on n'a jamais réussi sa vie si l'on n'a pas réussi ses enfants : vérité sans cesse matraquée par Michel Eddé, le vaillant patriarche de cette belle et grande famille, celle de L'Orient-Le Jour, réunie ce soir ici et qu'il guide avec autant de cœur que de sagesse, de clairvoyance. Famille de tradition, L'Orient-Le Jour, mais aussi de renouveau ; famille qui n'a jamais ménagé son affection, ni son estime, à mon égard ; famille assurée, en retour, de mon propre attachement, de ma constante détermination à la servir.
« Mon vœu le plus ardent, ma ferme certitude est qu'en dépit des contraintes financières découlant de la crise mondiale de la presse, l'équipe, par son sang neuf, par sa quête d'excellence et son éthique, sa cohésion, sa solidarité – son esprit d'équipe, précisément – gardera vivace l'âme de ce journal. L'âme de ce journal étant bien vous-mêmes, chers compagnes et compagnons du quotidien.
« Je me dois enfin, Monsieur l'Ambassadeur, cher Emmanuel Bonne, de réitérer mes remerciements à la France et son chef ; à vous-même, qui m'aviez déjà honoré de votre amical intérêt avant même d'avoir posé le pied sur le sol libanais ; à l'ambassadeur et ami Patrice Paoli, ainsi qu'à toutes les personnes qui, avec vous, ont bien voulu me juger digne de cette haute distinction. Laquelle, soyez-en assuré, ne pourra que renforcer mes convictions quant à la pérennité de l'amitié franco-libanaise et mon engagement au service de la francophonie. Merci à vous tous et toutes. »
Ramzi Jreige
Que pourrais-je ajouter au remarquable discours que l'ambassadeur de France au Liban, M. Emmanuel Bonne, a prononcé à l'occasion de la remise de la Légion d'honneur à Issa Goraieb, sinon que la distinction que Issa a reçue récompense un grand journaliste qui a marqué par ses éditoriaux toute une génération de lecteurs et qui a fait preuve tout au long d'un parcours de plus de cinquante ans d'un grand courage, d'une remarquable lucidité et d'un attachement jamais démenti aux valeurs de la francophonie, que sont la démocratie, l'État de droit et les libertés publiques.
Faut-il ajouter que le nom de Issa Goraieb est indissociable de celui de L'Orient-Le Jour et que l'hommage qui lui a été rendu rejaillit sur toute l'équipe du journal, qui a su maintenir, grâce à ses vétérans comme à la nouvelle génération de journalistes qui l'animent, un niveau moral et professionnel dont la presse d'aujourd'hui a malheureusement trop souvent tendance à s'écarter. Je voudrais, à cette occasion, présenter à Issa Goraieb et à toute l'équipe de L'Orient-Le Jour mes sincères félicitations et les assurer, en tant que ministre de l'Information, de mon soutien et de ma fidélité indéfectibles.
Marwan Hamade
Un soir de mai 1965, une nouvelle recrue, Issa Goraieb, frais lauréat des facultés de droit et des sciences économiques, se joint à l'équipe du Jour, une équipe qui, à l'exception de Jean Choueiri et Édouard Saab, était composée de novices déjà appelés à affronter un géant de la presse francophone, L'Orient.
Très vite, les plus talentueux et les plus assidus se distinguent.
Au service étranger, Issa s'affirme, déborde le cadre étriqué de simple rédacteur, devient correspondant et fourbit ses premières armes d'éditorialiste. Les choses se précipitent alors. Georges Naccache rejoint Ghassan Tuéni, la fusion des deux journaux francophones se fait sur un fond de rivalité Nahj-Helf (chéhabisme et opposition libérale). La guerre – ou plutôt les guerres – du Liban apportent à la profession leur suite tragique. Naccache décédé, Tuéni devient ministre d'un cabinet d'exception, Saab tombe sous les balles d'un franc-tireur au passage de Barbir. Personnellement, je fais le choix de la politique au détriment du journalisme. Dans la nouvelle équipe déjà brillante et appelée à prendre la relève, Issa Goraieb, Amine Aboukhaled et Camille Menassa se répartissent des responsabilités aussi lourdes qu'éprouvantes. Ils sont assaillis de toutes parts : par les balles, les bombes et la faillite qui guette les organes de presse. C'est alors qu'un sauveteur se présente : Michel Eddé qui prend à sa charge morale et matérielle la survie de L'Orient-Le Jour. Dans les colonnes, ce sont les jeunes, Issa en tête, qui contribuent à ce sauvetage.
Hier, Issa Goraieb a été honoré par la France. Une juste reconnaissance de son talent, de sa probité et de son rôle national. C'est à nous désormais, Libanais de toutes souches, d'apporter à ce journaliste exceptionnel les signes de notre adhésion à des honneurs qui lui reviennent de droit.
Pour moi, le compagnon des "manchettes" et des éditoriaux créés et écrits à la lumière des bougies, ce frère jumeau du Chouf restera surtout, et pour toujours, l'ami d'une carrière et, plus encore, d'une vie.