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Dejeuner de la SMLH en l'honneur de l'ancien ministre Ghassan Salamé
2015-11-19

« Seul un homme comme Ghassan Salamé, politologue éminent, fin et expérimenté, ayant noué des contacts aux plus hauts niveaux, observateur attentif et bien informé, esprit souple et éclairé, pouvait démêler l'écheveau des intrigues et des guerres qui sont en train de modifier la géographie politique du Moyen-Orient. »
C'est en ces termes que le président de la Société des membres de la Légion d'honneur-Liban, Michel el-Khoury, a présenté un de ses membres, l'ancien ministre Ghassan Salamé au cours du déjeuner qui a été donné en son honneur hier au restaurant Le Maillon à Achrafieh, en présence du ministre de l'Information, Ramzi Jreige, représentant le chef du gouvernement Tammam Salam, Dr. Daoud Sayegh représentant l'ancien premier ministre Saad Hariri, des ministres Nabil de Freige, des députés Marwan Hamadé (membre de la société) et Abdellatif Zein, du président honoraire de la société, Michel Eddé, du doyen du corps diplomatique, le nonce apostolique Gabriele Caccia, des ambassadeurs de France, Emmanuel Bonne, de Suisse, François Barras, d'Algérie, Ahmad Bouziane, de Jordanie, Nabil Msarwa, d'Irak, Ali Abbas Amri et du chargé d'affaires palestinien, Maher Mchayel, des anciens ministres Tarek Mitri, Nayla Moawad, Mohammad Youssef Beydoun, Assaad Rizk, Maurice Sehanoui, Ziyad Baroud et de plusieurs autres personnalités.

 

M. Chlala

Après le mot d'introduction de Rafic Chlala, secrétaire général de la société, qui a mis l'accent sur la tragédie que le Liban et la France ont vécue presque simultanément à cause des attentats-suicide de la semaine dernière dans la banlieue beyrouthine et à Paris, une minute de silence a été observée par les personnes présentes. Mgr Caccia a ensuite prié à la mémoire des victimes des attentats dans les deux pays et M. Chlala a demandé à l'ambassadeur de France de transmettre au président et au peuple français les condoléances de la Société des membres de la Légion d'honneur-Liban.

 

 

M. Khoury

M. Khoury a ensuite dressé le portrait de l'invité d'honneur, Ghassan Salamé, « qui fait partie de ces Libanais qui se sont illustrés, dans leur pays et sur la scène internationale, dans les multiples domaines de l'enseignement supérieur, de l'écrit, de la culture, de la diplomatie et de la politique ». « Il a rappelé tout son parcours professionnel et politique, avant de s'arrêter à l'étape la plus douloureuse, la plus cruelle dans sa carrière », à savoir l'attentat au camion piégé en août 2003 contre les bureaux de l'Onu à Bagdad où il venait d'être nommé, en tant que conseiller politique de Sergio Vieira de Mello, représentant spécial en Irak du secrétaire général de l'Onu, Kofi Annan : « Sergio Vieira de Mello et 22 de ses collaborateurs sont tués. Ghassan Salamé échappe à la mort par miracle. Il se trouvait dans une pièce à l'arrière du bâtiment. (...) L'éminent politologue que nous accueillons aujourd'hui est un miraculé. »

 

 

M. Salamé

Dans une allocution M. Salamé, s'est longuement étendu sur les causes des troubles dans plusieurs pays de la région, écartant d'emblée la thèse du complot, pour mettre plutôt en relief « des transformations profondes du tissu social arabe, difficiles à cerner par une lecture purement politique ou conspirative ». Selon lui, une solution risque d'être longue à intervenir et en attendant, le Liban a la possibilité de prendre son destin en main. La priorité va pour lui à la redynamisation des institutions, ce qui l'a poussé à fustiger le comportement de ceux qui bloquent les institutions.

Son analyse de la situation dans la région l'a porté à conseiller aux Libanais de résoudre eux-mêmes leurs problèmes, en se disant persuadé qu'ils en sont capables. « Mais la question principale demeure la suivante : y-a-t-il encore des Libanais au Liban ? Nos institutions se sont toutes transformées en une sorte de conseils confessionnels dans lesquels nous nous amusons à prouver nos capacités supérieures à celles des autres en termes de prise de décision, au lieu de réellement prendre ces décisions », a déploré M. Salamé, avant de faire remarquer qu' « une partie du contenu de l'accord de Taëf, surtout par tous les chemins maladroits empruntés dans son application, a abouti à l'anéantissement du concept de l'État capable qui va au-delà des intérêts de certaines classes ».

« La première mission qui s'impose à nous est la réanimation des institutions constitutionnelles », a-t-il insisté, en considérant que « le seul véritable obstacle devant la réanimation de ces institutions est notre égoïsme et la faiblesse de notre protection de notre patrie, non pas quelque complot étranger ».
« Cependant, poursuit-il, certains accordent la priorité au changement des règles du jeu plutôt qu'à mettre fin à la paralysie institutionnelle quasi totale. Je m'adresse à ceux-là en leur disant : personne ne peut percevoir les défauts de l'accord de Taëf, surtout les inconvénients de son application, autant que ceux qui ont modestement contribué à sa conception et l'ont rédigé sans malice. Ceux-ci précisément, et je me considère en faire partie, ont le droit de souligner les mauvais passages du texte ou de son application, et de prévoir des alternatives plus solides. Mais ils ont aussi le droit de refuser la destruction de ce qui a déjà été érigé, dans la quête de ces alternatives. La logique veut que toutes les institutions constitutionnelles et administratives soient réanimées en condition préalable du développement d'alternatives, et il me semble que la paralysie de ces institutions en tant que moyen de modification de la formulation politique est un risque non calculé qui révèle un factionnalisme aigu et une part concrète d'irresponsabilité. »

Concernant le dossier régional, il a attiré l'attention sur le fait qu'il est « difficile d'imaginer que les solutions politiques aux crises actuelles seront suffisantes pour résoudre leurs causes profondes », avant d'expliquer les limites de l'intervention de l'Occident et des organisations internationales. « La région est en proie à une explosion interne de toutes ses composantes sociales, politiques, économiques et idéologiques adoptées depuis bien longtemps. Néanmoins, l'emplacement exceptionnel de la région dans la politique internationale poussa plusieurs acteurs régionaux et internationaux à tenter d'en profiter, que ce soit pour l'avancement de leurs propres intérêts ou le progrès de leurs projets », a-t-il expliqué.

M. Salamé a groupé par trois les transformations qui se sont opérées selon lui dans le monde arabe et qui ont fini par générer la situation chaotique que nombre d'États de la région traversent. Il a cité en premier une faiblesse des régimes autoritaires, et présenté le « printemps arabe » comme étant « une sorte de réplique secondaire lointaine à la troisième vague de démocratie qui se propagea depuis le sud de l'Europe durant les années soixante-dix, pour passer ensuite à l'Amérique latine, puis l'Europe centrale et l'Europe de l'Est et qui eut comme résultat l'entrée titubante de la région dans le mouvement de libération du joug de la tyrannie ».

La deuxième raison, pour lui, est « l'entrée de plusieurs régimes arabes dans le marché international sans réaliser que cela ne pourrait se faire sans projections sur leurs situations politiques, comme la perte progressive de leur contrôle sur l'économie nationale, la nécessité de respecter les règles des opérations de privatisation, le ressentiment naturel du peuple vis-à-vis des politiques de non-subvention des produits de consommation, des risques engendrés par la monopolisation par les autorités des capacités économiques ou des conséquences de l'acceptation de certaines conditions posées par le Fonds monétaire international, par l'Organisation mondiale du commerce, ou d'autres bailleurs de fonds, sur la souveraineté nationale ». « Ceci est pour dire que le mouvement actuel est une révolte contre la mauvaise distribution des richesses émergentes, ainsi qu'une protestation contre la monopolisation du pouvoir », a commenté M. Salamé.

La troisième raison se rapporte à la révolution technologique qui « rend la mobilisation populaire plus facile, et la transmission d'informations plus rapide ». « L'environnement joua aussi un rôle considérable dans la déflagration du printemps arabe, surtout en ce qui concerne la rupture soudaine de l'équilibre qui régnait auparavant entre la croissance démographique et les ressources disponibles », selon l'ancien ministre qui a cité également le facteur pétrolier : « L'élévation des prix du pétrole et du gaz au cours de la première décennie du XXIe siècle aboutit à un surplus énorme, décuplant ainsi le pouvoir des pays pétroliers à influencer le cours des choses au sein d'autres pays, tandis que les pays arabes importateurs de pétrole perdirent une grande part de leur capacité financière ». 

« L'effondrement des prix du pétrole que nous voyons aujourd'hui pourrait jouer un rôle assez contraire en termes d'affaiblissement des pays pétroliers, en les privant de l'outil politique de leur influence interne et régionale, afin que l'étincelle de protestation puisse les gagner », a-t-il analysé, avant de constater, en évaluant les prises de positions du président américain, Barack Obama, que « les États-Unis évitent d'intervenir autant que possible dans les affaires de cette région, surtout sur le plan militaire ». « Cette absence de volonté américaine s'accompagne d'une érosion des capacités d'autres pays de l'Occident, a constaté M. Salamé qui a jugé que le système international progressivement mis en place par l'Ouest au cours des cinq années précédentes, s'effrite aujourd'hui sous nos yeux, sans qu'il n'y ait un vrai consensus entre les pays émergents sur un système qui le remplacerait. »

Après s'être attardé sur « les difficultés organiques de l'Onu quant au traitement des conflits civils qui éclatent partout » et les politiques suivies par la Russie, l'Iran et Israël, Ghassan Salamé relève que l'ensemble de ces facteurs a mené à « une situation contradictoire, accompagnée par l'intégration de la région dans des mécanismes de mondialisation financière et économique et l'accroissement du rôle sécuritaire et politique des pays de la région. L'Iran était un pionnier dans ce contexte ».
« Si cette évaluation rapide de l'ère profondément troublée que nous vivons aujourd'hui est correcte, son premier résultat serait que nous ne sommes pas proches de la clôture de cette ère, ou de l'annonce de sa fin. Nous devrons donc attendre des années, non pas des semaines ou des mois, avant que cette région ne se stabilise à nouveau. De plus, les facteurs structurels qui éclatent aujourd'hui signifient également que cette parcelle d'instabilité pourrait s'élargir, tout comme elle pourrait se rapetisser. Essentiellement, ceci signifie que les solutions politiques et diplomatiques, malgré leur urgence, demeurent moins pressantes que les défis existentiels auxquels font face les peuples de la région », a-t-il dit.

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