Joumana Debs Nahas et Ali Ahmad el-Amine sont les deux lauréats de l’édition 2020 du prix Michel Eddé. Chacun d’eux a reçu un trophée ainsi que la somme de 10 000 dollars, au cours d’une cérémonie organisée lundi soir à l’amphithéâtre François Bassil à l’Université Saint-Joseph (USJ). Décerné par l’Observatoire de la fonction publique et de la bonne gouvernance (OFP), ce prix récompense la meilleure thèse de doctorat portant sur la gouvernance publique au Liban. Outre la nécessité de répondre à cette caractéristique, la seule condition pour être éligible à ce prix est d’être libanais et d’avoir publié sa thèse entre 2016 et 2018. Prestigieux, le prix revêt cette année une importance particulière dans le contexte politique auquel est confronté le Liban.
L’héritage de Michel Eddé à l’honneur
Dans leurs allocutions, Salim Daccache, recteur de l’USJ, et Pascal Monin, directeur de l’OFP, ont tenu à évoquer la mémoire du fondateur de ce prix, Michel Eddé, que M. Monin a décrit comme « un homme de cœur, un homme d’État ». Le temps d’une soirée, le regretté Michel Eddé fut de nouveau présent. Décédé le 3 novembre 2019 à 91 ans, sa mémoire est intrinsèquement liée à l’histoire contemporaine du Liban, auquel il a consacré sa vie. Par cinq fois ministre, il incarna surtout la fervente défense d’un confessionnalisme libanais qui ne rimait pas avec sectarisme. En ce sens, ce maronite engagé mais modéré marqua de sa vision la réflexion sur la gouvernance publique au Liban.
Parmi l’assistance qui remplissait les rangs de l’amphithéâtre, la famille de Michel Eddé était notamment présente. Salim Eddé, cofondateur de l’éditeur de logiciels Murex, a tenu à souligner que « la politique, c’est soit un sacerdoce, soit une escroquerie », en référence au fait que si son père fut un homme politique incontournable, il fut surtout homme de principes auxquels il n’a jamais dérogé sa longue carrière durant.
La parole a ensuite été laissée aux témoignages du comité du prix. Fadia Kiwan, directrice générale de l’Organisation de la femme arabe, a noté que l’OFP se devait d’avoir le souci de s’imposer comme un « laboratoire de réflexion et d’action à même d’anticiper le déficit d’État et de régler la crise de confiance ».
Antoine Saad, journaliste et chercheur, est revenu sur le soutien inconditionnel qu’avait apporté Michel Eddé à de nombreuses carrières de chercheurs, dont la sienne. Il a ensuite rappelé l’importance fondamentale de soutenir la recherche universitaire. À ce titre, il a déclaré : « Michel Eddé était convaincu de l’importance de ressentir le soutien de sa société. »
Récompenser des thèses innovantes
Pour cette édition 2020, vingt-sept candidats avaient été présélectionnés. Chaque thèse a ensuite été soumise à un professeur expert d’une autre université. À l’issue de cette seconde évaluation, le comité du prix s’est réuni le 7 janvier 2020 sous la présidence de Salim Daccache pour établir le palmarès. Ce dernier a procédé à la sélection finale. Les critères de sélection principaux, cités par Pascal Monin, sont la pertinence du sujet, l’originalité de la méthode ainsi que les recommandations proposées dans la thèse pour améliorer la gouvernance publique au Liban. « La seule qualité scientifique ne pouvait pas compter dans la sélection si elle n’était pas associée au thème du prix », précise le directeur de l’OFP.
Cette année, deux thèses se sont vu décerner le prix : la thèse de Joumana Debs Nahas, intitulée « La démocratie à l’épreuve du consociativisme au Liban », soutenue à l’USJ, et la thèse de Ali Ahmad el-Amine, intitulée « The potential effects of macro-economic variables on currency crisis and the fixed exchange rates system in a small open economy » (« Les effets potentiels des variables macroéconomiques sur la crise monétaire et le système de taux de change fixes dans une petite économie ouverte »), soutenue à l’Université de Jordanie. À l’annonce du titre de cette dernière, l’assemblée a laissé échapper un rire. « C’est une thèse qui tombait à pic », s’amuse Pascal Monin. Et pour cause : la situation économique plus que critique dans laquelle s’embourbe le pays est justement la conséquence des dysfonctionnements que pointe le docteur Amine dans sa recherche.
Les lauréats ont ensuite pris la parole après l’annonce de leurs nominations. Joumana Debs Nahas a notamment dit sa fierté de remporter ce prix prestigieux. Dans sa thèse, la jeune femme propose une loi électorale novatrice qui consisterait en un découpage de circonscription selon le nombre de députés requis, système innovant qui met l’accent sur la démocratie de proximité. « J’insiste dans ma thèse sur le rôle central que doit jouer la société civile », a-t-elle souligné. L’innovation dont fait preuve la thèse défendue a su convaincre le jury.
« La bonne gouvernance est un outil indispensable pour rebâtir la confiance en nos institutions », a expliqué Pascal Monin. Le jury espère que ce prix encouragera justement les doctorants libanais à choisir des sujets de recherche en lien avec la bonne gouvernance et que la prochaine édition du prix Michel Eddé saura illustrer les réflexions actuelles autour de la gouvernance publique au Liban.