L'ambassadeur de France au Liban, Emmanuel Bonne, a remis au nom du président François Hollande les insignes de la Légion d'Honneur, grade de Commandeur, à l'ancien député Samir Frangé. La cérémonie a eu lieu en présence de nombreuses personnalités, dont notamment l'ancien président de la Chambre Hussein Husseini, , le vice-président de la Chambre, Farid Makari, le ministre Nabil de Freige, l'archevêque maronite de Beyrouth, Mgr Boulos Matar, l'évêque maronite Mgr Youssef Béchara, le président de la Société des membres de la Légion d'Honneur l'ancien ministre cheikh Michel el-Khoury, les députés Bahia Hariri, Marwan Hamadé, Fouad es-Saad, , les anciens députés Nayla Moawad, Salah Honein, Farès Souhaid, Camille Ziadé, Elias Atallah et Ghattas Khoury.
L'ambassadeur Emmanuel Bonne a prononcé à cette occasion une allocution dans laquelle il a relevé, d'emblée, « la multiplicité d’inspirations, d’expériences, d’idées et d’initiatives, qui interdisent que l’on assigne définitivement (à Samir Frangié) une identité, une place, un registre ». « L’essentiel chez l’ancien député est d’être un homme libre qui a su s’extraire de toutes les contraintes du rang, de la famille, de la politique, pour défendre toujours une même idée du Liban, juste et généreux, uni dans la diversité, contre toutes les violences, toutes les simplifications, toutes les dominations », a souligné M. Bonne.
Ce Liban, « celui de Samir Frangié, c’est d’emblée celui de l’histoire », a déclaré l'ambassadeur de France. De son père, Hamid Frangié, « l’un des artisans de l’indépendance libanaise (…) homme de culture et de dialogue, homme d’expérience aussi », M. Bonne retiendra notamment une formule symptomatique du pays : « Si les Libanais s’entendent sur le mal, il se transforme en bien. S’ils sont en conflit sur le bien, celui-ci se transforme en mal. »
Pour Samir Frangié, « le mal prend très tôt la forme de la violence », à la suite de la tuerie de Meziara, quand il a douze ans. Cet événement qui « affecte durablement (sa) famille et (son) père » sera pour lui « quelque part l’annonce du danger qui menaçait le Liban, du repli sur la famille et la communauté, du présage de la violence », a rappelé M. Bonne en le citant.
À cette première prise avec la violence succédera la révolte naturelle de l’élève, puis de l’étudiant engagé, contre l’ordre préétabli. C’est à l’École des lettres de Beyrouth que Samir Frangié deviendra « celui que ses amis appellent affectueusement le bey rouge – titre que vous dispute encore parfois votre ami Walid Joumblatt », poursuit l’ambassadeur. « Porté par le mouvement étudiant de l’époque », il deviendra un « homme de gauche qui s’engage à corps perdu dans l’action politique ». Une action qu’il entame notamment « avec Mohsen Ibrahim, Fawaz Traboulsi, Ahmad Beydoun et Amin Maalouf » au sein de l’Organisation de l’Action communiste au Liban, laquelle « devient le creuset d’une véritable génération intellectuelle ». « (Son) ambition est alors rien moins que de changer la donne dans le monde arabe après la défaite de 1967 », a relevé l’ambassadeur.
Bien qu’engagé au sein du Mouvement national après l’éclatement de la guerre en 1975, il « ne peut approuver la violence aveugle des combattants ni le cycle infernal des représailles ». L’assassinat de Kamal Joumblatt en 1977, puis celui de Tony Frangié et de sa famille en 1978 marqueront son second apprentissage douloureux de la violence, a relevé M. Bonne.
« Influencé alors par la réflexion de René Girard sur les mécanismes de la violence », Samir Frangié est désormais hanté par la recherche du dialogue, a ajouté l'ambassadeur de France. Au pic de la guerre, il « rappelle à tous qu’ils ont le Liban en commun et œuvre pour que les belligérants finissent par s’entendre sur l’essentiel », a-t-il ajouté.
Sa conviction s’ancrait alors immuablement, selon laquelle « le peuple uni ne peut pas être vaincu ».
C’est elle qui le guidera dans « ses missions difficiles dans les moments les plus critiques de la guerre, en 1978, en 1982, puis lors de la guerre de la Montagne », et ensuite lorsqu’il « posera tôt les bases des accords de Taëf avec Ghassan Salamé, Nassib Lahoud, Talal Husseini et Rafic Hariri ».
Et M. Bonne de poursuivre : « Le Liban gagne la paix mais se voit aussi imposer une lourde tutelle. Pour certains, c’est le prix qu’il faut payer, celui de la paix. Mais pour vous c’est inacceptable, c’est insupportable. Les Libanais doivent décider pour eux-mêmes. Ils doivent se réconcilier. Or le régime syrien les divise encore pour mieux justifier sa mainmise sur le pays qu’il occupe brutalement et pille sans retenue », poursuit Emmanuel Bonne qui ajoute que M. Frangié décide alors de « se consacrer entièrement à une réconciliation nationale, qui est aussi une lutte de libération ». Une lutte qui sera marquée par « le soutien du patriarche Sfeir (…), l’époque du Congrès permanent de dialogue qu’il anime avec Hani Fahs, Mohammad Hussein Chamseddine et Farès Souhaid ». La libération de 2000, « grand moment d’union nationale », enclenchera une dynamique souverainiste, « basée sur la pleine application des accords de Taëf, qui ne cessera de grandir ». L'ambassadeur a ensuite évoqué les épisodes-clés ayant préludé à la révolution du Cèdre et auxquels Samir Frangié a contribué de très près : l’appel de Bkerké en 2000 ; la coalition chrétienne de Kornet Chehwane; le Forum démocratique ; la réconciliation de la Montagne ; l’appel de Beyrouth en 2004, avec Saoud el-Mawla, Farès Souhaid et Mohammad Hussein Chamseddine, portant notamment une reconnaissance commune par les chrétiens et les musulmans de leur responsabilité dans la guerre et leur engagement à renier définitivement la violence, « parce que nous pensons que nous pouvons vivre ensemble égaux et différents ». Reprenant un passage de cet appel, M. Bonne l’a qualifié de « puissant et juste. Et comme il résonne encore aujourd’hui ! ». « La vague, le défi et l’ambition » de Samir Frangié feront de lui, après l’instant fondateur du 14 février 2005, « la conscience de l’intifada de l’indépendance ", a conclu M. Bonne.
L'allocution de Samir Frangié
De son côté, M. Samir Frangié a prononcé une courte allocution, déclarant notamment : « Cette haute distinction (pour laquelle il a remercié le président français François Hollande) me renforce dans ma détermination à poursuivre la bataille que je mène pour la paix (...). Je pense à ceux qui ont été assassinés, de Rafic Hariri et Samir Kassir à Mohammad Chatah. Je pense aussi à ceux qui nous ont quittés, à l’imam Mohammad Mehdi Chamseddine, l’imam Hani Fahs, Nassir el-Assaad, Nassib Lahoud, Assem Salam, Hikmat Eid, et beaucoup d’autres. » M. Frangié a évoqué le souvenir de son père Hamid, « l’un des artisans de l’indépendance, la première (…) qui m'a légué ce refus viscéral de toute discrimination confessionnelle (…) fondée sur la peur de l’autre ».
Jadis « choix politique », ce rejet de cette discrimination « est aujourd’hui la condition de notre survie ». La réconciliation demeure un enjeu fondamental : « Je ne parle pas de compromis à trouver entre les forces politiques pour un nouveau partage du pouvoir entre elles, mais d’une véritable réconciliation qui nous permettrait (…) de fonder notre vivre-ensemble aux conditions de l’État et non plus aux conditions d’une communauté dominante » (…).
Et d'ajouter : « Il nous faut pour cela sortir de cet état d’impuissance qui nous paralyse et comprendre que ceux qui rejettent la violence sont aujourd’hui très largement majoritaires et peuvent jouer un rôle déterminant s’ils œuvrent à tisser des liens entre eux pour mener ensemble la bataille de la paix. Cette réconciliation qui ne doit exclure personne, même ceux qui sont encore dans l’attente de nouvelles 'victoires divines', est aujourd’hui plus que jamais nécessaire. »
Et la bataille pour la paix revêt désormais une dimension transfrontalière, à travers le projet d’une Méditerranée du vivre-ensemble, appuyé par le président François Hollande et parrainé par la France, « qui a un rôle capital à jouer dans cette bataille » et à laquelle Samir Frangié a tenu à rendre hommage « pour sa condamnation de cet effroyable massacre qui se poursuit en Syrie depuis plus de cinq ans » et « ses efforts pour amener la communauté internationale à assumer ses responsabilités ».